États Généraux du numérique #4 : Renforcer la Loi Peillon pour clarifier les gouvernances nationales et territoriales

Publié le 9 novembre 2020 par Laure - Modifié le 30 janvier 2024 à 16H45

S’il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif des États Généraux du numérique (EGN) éducatif qui se sont tenus les 4 et 5 novembre, notons déjà que plusieurs de leurs propositions rejoignent celles que nous avions formulées dans nos précédents communiqués, ce dont nous nous réjouissons. Il va ainsi des propositions 16, 17 ou 39 pour ne citer qu’elles.

Même si les EGN sont désormais derrière nous, nous continuons aujourd’hui à nourrir le débat en rebondissant notamment sur la première des propositions issues des EGN, celle relative à « l’organisation d’une nouvelle gouvernance plus participative au niveau national et dans les territoires ».

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Préciser et concentrer les responsabilités

Cette problématique de la gouvernance territoriale est pour nous centrale. En effet, depuis des années, lors du déploiement de nos solutions en région, nous sommes confrontés à la complexité des organisations territoriales (le fameux « mille-feuille » français), et au flou qui règne encore parfois en termes de répartition de compétences.

Commençons par celles-ci. La Loi de juillet 2013, dite Loi Peillon, a représenté un effort louable de clarification des compétences entre État et collectivités en matière d’éducation. En confiant aux collectivités tout ce qui relève du fonctionnement des établissements et à l’État tout ce qui touche à la pédagogie, la Loi Peillon a établi un cadre d’action qui se voulait clair, y compris pour le numérique éducatif. Sauf que, les choses se sont révélées plus complexes qu’il n’y paraît. Comme le soulignait la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2019 sur le service public du numérique : « La ligne de partage des compétences, si elle est claire dans son principe, est brouillée par la réalité des interventions : le numérique oblige à intégrer bien davantage les interventions des différents acteurs institutionnels ».

Prenons un exemple. Deux des articles de la Loi Peillon confient aux collectivités le financement « des logiciels nécessaires à l’enseignement et aux échanges entre les membres de la communauté éducative ». De ces articles, à interprétation « très large », découle le fait que les ENT couvrant des champs fonctionnels de la scolarité à la pédagogie sont aujourd’hui entièrement financés par les Départements et Régions. Dans le même temps, ce sont les établissements qui financent leurs logiciels de vie scolaire via une subvention des mêmes collectivités. Quant à l’État, il garde à sa charge les logiciels administratifs et les guichets d’authentification. Nous ajoutons à ce panorama que les ressources clairement pédagogiques, tels que les manuels numériques, sont aujourd’hui la plupart du temps directement financées par les collectivités. Il est dès lors facile de comprendre que la multiplicité des acteurs décideurs cloisonne l’achat informatique dans des « silos décisionnels » au détriment de l’efficacité et de la cohérence globale des plateformes, privées comme institutionnelles, déployées au service de la communauté éducative. On court par conséquent le risque, comme le soulignait le Vice-Président de la Région Nouvelle Aquitaine lors des États Généraux, de voir des collectivités financer deux fois, voire trois fois le même service, créant un enchevêtrement dommageable et surtout un potentiel gâchis d’argent public.

Aujourd’hui, l’achat informatique se trouve de fait dispersé car la loi est dispersante de par son ambiguïté. Or, l’informatique coûte cher surtout à l’échelle d’une communauté éducative qui regroupe une population de plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs. Si l’on veut s’assurer d’une soutenabilité budgétaire, il faut rationnaliser cet achat en confiant clairement à une seule entité le pilotage et le financement, à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs pays : là où la France articule 4 compétences pour le scolaire (Municipalité, Département, Région, Rectorat), le Canada, via ses commissions scolaires, n’en articule qu’une…

On voit dès lors que la Loi Peillon gagnerait à être complétée ou précisée, au vu de la complexité actuelle de l’écosystème du numérique éducatif français, afin de clarifier, dans une logique de concentration, encore un peu plus le « qui fait quoi » et « qui finance quoi » dans le domaine. Ceci aurait également pour mérite de regrouper la commande publique pour des économies d’échelle significatives.
 

Désigner un responsable opérationnel unique pour mettre en place les projets complexes

Ce besoin de clarification rejoint un autre problème que nous rencontrons sur le terrain lors de nos déploiements. Lors de ceux-ci, nous nous heurtons souvent à une complexité de pilotage qui peut nuire à la réussite du projet voire à son échec. Cette complexité est encore plus grande, de par la multiplicité des acteurs, car la multiplicité des compétences brouille et dilue la chaine de responsabilités et par conséquent l’affaiblit. Cette dernière peut en effet dysfonctionner lors de situations critiques nécessitant arbitrages et plans d’actions efficients dans des délais resserrés ou lors de phases de transitions opérationnelles comme politiques alors que les projets digitaux que nous menons nécessitent du temps.

Aussi, nous plaidons pour l’émergence d’une notion de « chef de file » sur des projets complexes comme le déploiement d’une plateforme multiservices sur la totalité de plusieurs territoires. Nous sommes ici sur des déploiements massifs, en termes d’utilisateurs (plusieurs millions), qui nécessitent une approche globale mêlant infrastructures, services et logiciels.

Une fois l’analyse de besoins réalisée par l’ensemble des acteurs d’un territoire, il serait en effet intéressant que toutes les parties prenantes désignent un seul niveau de responsabilité opérationnelle qui aurait la charge de piloter, et lui seul, l’ensemble du projet dans toutes ses composantes. À travers des mécanismes de délégation de compétences pour une durée limitée (mais suffisante) et sur un périmètre précis, il serait possible d’aboutir à ce type de pilotage resserré, sans avoir à modifier la loi. Il nous semble qu’une telle organisation permettrait de gagner en efficience, notamment dans la relation maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre. Les donneurs d’ordres auraient bien évidemment la responsabilité de créer en interne tous les mécanismes de concertation et de régulation permettant au « chef de file » de jouer pleinement son rôle.

Clarifier les responsabilités, simplifier le pilotage nous paraissent ainsi être des axes de progression pertinents pour ce qui touche au numérique éducatif. Ce pilotage ne peut toutefois s’envisager sans un véritable dispositif d’évaluation. Cette dimension nous a paru étonnamment absente des EGN. Or, la situation actuelle nous montre à quel point elle devient indispensable par le caractère « mesurable » de la qualité de service fournie à la communauté éducative qu’elle propose. Sans culture de l’évaluation nos politiques publiques numériques risquent fort de s’avérer dispendieuses et inefficaces. Ce thème fera l’objet de notre prochaine et dernière communication.